La première bataille de Fleurus

Bataille

Jean Godet

La première bataille de Fleurus (trois autres se dérouleront encore sur son territoire en 1690, 1794 et 1815) eut lieu le 29 août 1622, un lundi. Cette bataille est un épisode de la guerre dite de Trente ans qui débuta en 1618 et ne finit, en effet, qu’en 1648.

A la fois religieuse et politique, la guerre de Trente ans fut provoquée par l’antagonisme qui régnait entre les Protestants et les Catholiques et par la crainte qu’inspirait aux autres souverains de’ l’Europe les visées ambitieuses de l’empereur d’Allemagne, Frédéric II. La lutte commença en Bohême par la défenestration de Prague. L’empereur ayant ordonné la démolition des temples luthériens, une troupe de , Protestants envahit le palais du Hradschin, à Prague, et du haut des fenêtres, précipita dans le vide les lieutenants de Sa Majesté Impériale. Ceux‑ci tombèrent heureusement sur un tas d’ordures et purent d’ailleurs se sauver.

La guerre de Trente ans se divise en quatre périodes. Pendant la première, la période palatine (1618‑1624), l’électeur palatin Frédéric V, chef de l’Union protestante, fut proclamé roi de Bohême mais vaincu par les Impériaux en 1620, à la bataille de la Montagne blanche, près de Prague, il perdit ses états. La journée de Fleurus de 1622 appartient donc à la période palatine. Au cours de la deuxième période ou période danoise (1624‑1629), le roi de Danemark Christian IV prit la tête des troupes luthériennes mais battu par Wallenstein et Tilly, il dut signer la paix à Lubeck. Au cours de la troisième période ou période suédoise (1630‑1635) le roi de Suède Gustave‑Adolphe, homme de guerre remarquable, remporta les victoires de Breitenfeld et du Lech mais fut tué à Lützen le 16 novembre 1632. Enfin, la quatrième période ou période française (1635‑1648) fut marquée par la victoire de Fribourg remportée en 1644 par le Grand Condé sur les Impériaux et, en 1646, par celle de Nordlingen gagnée par Turenne et Condé.

La première bataille de Fleurus mit aux prises les troupes espagnoles de la Ligue catholique comman­dées par le mestre de camp général don Gonzalès de Cordova et celles réunies de l’Union protestante placées sous les ordres de deux célèbres aventuriers,

Ernest de Mansfeldt et l’évêque Christian von Halberstadt. Certains historiens, soit dit en passant, situent cette bataille le 30, ou même le 4 août, mais il est certain qu’elle eut bien lieu le 29.

Christian von Halberstadt et Ernest de Mansfeldt, dont nous allons d’abord voir les faits et gestes avant la bataille de Fleurus, ne furent pas, et de loin s’en faut, des personnages ordinaires. Fils naturel du comte Pierre Ernest de Mansfeldt, qui appartenait à l’une des plus illustres familles de l’Allemagne, Ernest de Mansfeldt, d’ailleurs légitimé par l’empereur germanique Rodolphe II, fut un redoutable condottière qui marqua de sa terrible empreinte la guerre de Trente ans. Pour certains historiens, les plus nombreux, Mansfeldt serait né à Malines en 1585 et sa mère aurait été une dame de cette ville. Pour les autres, il vit le jour dès l’an 1580 et ce serait Anna de Bentserath, une belle Hollandaise, qui l’aurait mis au monde. Le bâtard légitimé, dont la figure, à cause d’un bec‑de‑lièvre, était, paraît‑il, « d’une rare laideur », eut pour parrain l’archiduc Ernest d’Autriche, gouverneur des Pays‑Bas espagnols, qui surveilla d’ailleurs sa première éducation. D’abord page de son père, c’est sous l’égide de son frère Charles de Mansfeldt que le futur condottière s’en alla apprendre le métier des armes en Hongrie. Ayant obtenu de l’archiduc Albert, le mari de l’infante Isabelle, le commandement d’un régiment, il prit part, dans les rangs espagnols, au fameux siège d’Ostende qui débuta en 1601 et se prolongea jusqu’en 1604.

Furieux de ne, pas avoir reçu d’avancement, Mansfeldt passa au service de l’archiduc Léopold d’Autriche. En 1610, le comte de Salm le fit prisonnier. Ayant recouvré la liberté, il se brouilla avec Léopold et alla jusqu’à l’insulter. Entré dans l’armée du duc de Savoie Charles Emmanuel, qui le créa marquis de Castel‑Nuovo et de Butiglieria, il combattit les Espagnols. Avec 2.000 hommes, il s’en fut ensuite en Bohême pour se joindre aux insurgés qui voulaient secouer le joug de l’empereur Ferdinand II. Dans l’intention de se faire bien voir des révoltés, le bâtard légitimé abjura la religion catholique dans dans laquelle il avait été élevé et embrassa le protestantisme. Les insurgés en firent d’ailleurs leur général en chef. Mansfeldt contraignit le comte de Bucquoi, qui commandait les Impériaux, à abandonner le pays. En 1619, il fut mis au banc de l’Empire mais notre condottiere, qui n’en avait cure, fit la guerre, apparemment pour le compte de l’électeur palatin Frédéric V, mais en réalité pour son propre compte.

A la tête de bandes indisciplinées composées plutôt de dangereux aventuriers, de bandits, de pillards que de véritables soldats dignes de ce nom, il s’en alla combattre dans le Haut-Palatinat, puis sur le Rhin et triompha du comte de Tilly et de Gonzalès de Cordova. Cependant, en 1621, il dut battre en retraite sur le Bas-Palatinat et s’en fut ravager l’Alsace. « Sa tête ayant été mise à prix en Allemagne », dit la Biographie Michaud, il se réunit à Christian von Halberstadt.

Christian, duc de Brunswick-Lunebourg, évêque luthérien d’Halberstadt, naquit le 10 septembre 1599. Il allait se rendre célèbre pendant la guerre de Trente ans, non seulement par son extraordinaire courage et son intrépidité, mais aussi par ses nombreuses rapines et brigandages. Frère cadet du duc régnant Frédéric Ulrich de Brunswick-Wolfenbuttel, Christian fut élevé à la cour de Danemark. Il apprit le métier des armes en Hollande où il reçut le commandement d’une compagnie de dragons. A la mort de son frère Rodolphe, évêque luthérien d’Halberstadt, Christian, qui n’avait alors que 17 ans fut élu à son tour évêque d’Halberstadt.

On s’étonnera sans doute qu’un évêque devint un redoutable chef de guerre mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un évêque luthérien. « Les fonctions des évêques luthériens, écrit le comte de Villermont qui nous a fourni les détails biographiques qui précèdent sur la vie de Christian von Halberstadt, consistaient simplement à dépenser les revenus de leurs évêchés sans autre devoir à remplir ». Dès lors, n’ayant pas charge d’âmes, Christian allait faire la guerre par goût, par esprit d’aventure et pour assouvir ses mauvais penchants.

Von Halberstadt marqua un vif attachement à la cause de l’électeur palatin Frédéric V, élu roi de Bohême et le soutint contre les Impériaux. Lorsque ce prince eut prit la fuite après la bataille de Prague, Christian se saisit d’un gant appartenant à la femme de Frédéric, le fixa à sa coiffure et jura qu’il ne l’enlèverait pas avant d’avoir rétabli l’électeur sur son trône. Il réunit ensuite une armée en Saxe et en Wesphalie, ravagea la Hesse, s’empara de plusieurs villes et pilla les églises. A Paderborn, dit la Biographie Michaud, il enleva la statue en or massif de Saint-Lidoire. Avec le métal précieux provenant de ses pillages, il fit frapper des écus portant cette devise « Ami de Dieu, ennemi des prêtres ». L’évêque d’Halberstadt ne pouvait d’ailleurs souffrir de voir un prêtre catholique sans lui faire subir les plus mauvais traitements. Cet Attila au petit pied, comme l’appelle le comte de Villermont, dépassa, dit-il, Mansfeldt lui-même en brigandages et en cruautés.

Après avoir ravagé la Hesse où il avait fait un butin considérable, Christian entra dans le diocèse de Mavence et y continua ses dévastations. Vaincu par les Impériaux au passage du Main, il parvint, malgré sa défaite à réunir un corps de 13.000 hommes. Il se joignit alors à Ernest de Mansfeldt et entra avec lui en Alsace. Le pillage, le meurtre et l’incendie y marquèrent leur passage. Parmi les troupes de Mansfeldt, écrit le comte de Villermont, « il y avait des maîtres incendiaires en titre particulièrement habiles à mettre le feu aux villes et aux villages ». Envahie, elle aussi, par les deux compères – Mansfeldt et Halberstadt – la Lorraine n’eut pas meilleur sort.

Le duc de Nevers, gouverneur de la Champagne, vers laquelle ils faisaient mine de s’avancer, s’entendit avec les Espagnols pour leur barrer la route par un mouvement enveloppant. Ayant deviné la ruse, Christian et Mansfeldt entraînèrent, à marche forcée, leurs troupes vers les Pays‑Bas espagnols.

Pour les empêcher de passer, relate J. Kaisin, 4.000 paysans rassemblés dans l’Entre‑Sambre‑et‑Meuse « rompirent » les routes conduisant vers la France et 6.000 à 7.000 autres campagnards, ceux‑ci du Brabant, furent envoyés à Pont‑de‑Loup pour interdire le passage de la Sambre. Ils y demeurèrent 7 jours et ravagèrent tout le pays. « Ils allèrent, écrit encore le même auteur, jusqu’à couper les récoltes sur les campagnes et les battre dans les granges sans que les habitants eussent osé les en empêcher ».

Les troupes de Mansfeldt et d’Halberstadt semblaient démoralisées et l’on se flattait, chez les Espagnols, de pouvoir bientôt les détruire. Cependant, les cavaliers ennemis prennent les piétons en croupe, franchissent la Meuse à Mézières et la Sambre à gué dans la région de Maubeuge. Le 27 août 1622, l’évêque luthérien et Mansfeldt couchent à l’abbaye de Bonne‑Espérance. Le 28, ils passent à Binche d’où, du haut des remparts, on leur tire des coups de feu. Mansfeldt et Christian, dit le comte de Villermont, se payent pourtant le luxe d’aller visiter le château de Mariemont qui appartient à l’infante Isabelle, fille de Philippe II et qui gouverne les PaysBas espagnols. Le dimanche 28 août, les deux aventuriers poursuivent leur marche en empruntant la chaussée Brunehaut. Ils ont l’intention, par la Campine, de se rendre à Berg‑op‑Zoom, en Hollande.

Arrivés dans la plaine de Fleurus, dit le chanoine Theys, ils campent à Wagnelée vers les 6 heures du soir. Informé de la marche de l’ennemi, don Gonzalès de Cordova, dont les troupes occupent le Luxembourg, se hâte, lui aussi, de prendre le chemin des Pays‑Bas espagnols. Le 27 il franchit la Meuse à Givet où, pour progresser plus vite, il laisse la plus grande partie de ses bagages et sa grosse artillerie. Le soir même, avec sa cavalerie, il est à Pont‑de‑Loup. Le lendemain, par le chemin dit des Lorrains, son infanterie le re . oint. Le 28 août, écrit le comte de Villermont, il nvoie l’un de ses officiers, Philippe de Sylva, « pousser de fortes reconnaissances dans la direction de Binche avec ordre d’obliger les paysans à prendre les armes et à harceler l’ennemi ». Au moment où Gonzalès de Cordova fait avancer son infanterie, il apprend que les troupes ennemies marchent sur Fleurus et part immédiatement pour leur interdire le passage. Philippe de Sylva, qui a connaissance des mouvements de l’ennemi et prévoit une bataille, ramène aussitôt sa cavalerie vers le gros des forces de Cordova. Laissant à deux de ses officiers, Diego de Ibarra et Guillaume Verdugo, la mission de hâter la progression de son infanterie, don Gonzalès, avec toute sa cavalerie, va sur le champ « prendre position au nord de Fleurus, dans la direction de Chassart, sur une éminence de Saint‑Amand, écrit le chanoine Theys, ayant le dos appuyé sur Fleurus et faisant face à la chaussée romaine ».

Vers les 5 heures et demie du soir, don Gonzalès est rejoint par son infanterie. Sur le champ, malgré une pluie d’orage torrentielle, il la fait ranger en bataille et divise, son armée en 4 corps de troupes. Le comte de Villermont nous donne la composition de ces troupes. Composé pour la plus grande partie d’Espagnols, de Bourguignons et de Wallons et placé à l’aile droite, le premier corps se trouve sous les ordres de Diégo d’Ibarra et de Guillaume de Vertugo. Formant corps de bataille, le deuxième corps comprend le régiment d’Isenbourg, la compagnie d’Emden et 4 compagnies franches. Le troisième corps est commandé par le marquis de Campolataro. A lui seul le régiment du comte Otto‑Henri Frugger compose tout le quatrième corps ; le lieutenant‑colonel Camargo se trouve à sa tête.

A peine l’armée de Cordova a‑t‑elle terminé ses dispositions de combat que l’ennemi apparaît dans le lointain. Stupéfaits, quant à eux, d’apercevoir les troupes de don Gonzalès prêtes à leur disputer le passage, Halberstadt et Mansfeldt font faire halte à leurs bandes d’aventuriers puis, écrit le comte de Villermont, « firent mine de vouloir forcer le passage par la droite des Espagnols mais, en fait, n’entreprennent rien de sérieux ».

Les forces respectives qui le lendemain 29 août vont se heurter à Fleurus, comprennent du côté des Luthériens 60 escadrons, soit 6.000 cavaliers, et 7.000 à 8.000 hommes de pied, du côté des Espagnols de la ligue catholique 8.000 fantassins et 2.000 cavaliers. Chez les deux partis, l’artillerie est plutôt maigre ; elle ne comprend que quelques canons et les Espagnols n’en n’ont que deux de plus que les Luthériens. L’obscurité venue, dans le but de tromper l’adversaire sur leurs forces réelles, Mansfeldt et Halberstadt, dit le comte de Villermont, font allumer de grands feux de tous côtés et, à plusieurs reprises, battre le tambour dans la nuit. Le lundi 29 août, à l’aube, les Espagnols aperçoivent sur leur gauche, près de Fleurus, un gros de cavaliers qui tentent de les déborder « et qui déjà, écrit le chanoine Theys, avaient pénétré en ville pour exercer leur oeuvre de pillage et d’incendie ».

Don Gonzalès fait renforcer hâtivement l’aile de son armée menacée par l’ennemi et tirer, sur celui‑ci, quelques coups de canon. Supérieure en nombre à celle de Cordova, la cavalerie de l’évêque luthérien charge avec furie les cavaliers espagnols, se jette sur les bagages de l’adversaire qu’elle entreprend de piller, s’empare du carosse du comte d’Isenbourg, du trésor de guerre de don Gonzalès et des papiers de celui‑ci. A ce moment apparaît le colonel Gaucher « qui bien que fort incommodé d’un bras, était arrivé la veille à francs étriers, du fond du Luxembourg ». Gaucher, qui, tient absolument à participer à la bataille qu’il considère d’ailleurs comme une fête, rallie la cavalerie espagnole, tombe comme la foudre sur les cavaliers d’Halberstadt et les repousse « l’épée dans les reins ». Au cours de la bataille, la cavalerie de l’Union protestante chargera six fois l’infanterie espagnole sans parvenir à l’entamer. Beaucoup de cavaliers ennemis seront tués ou blessés par les piques des fantassins de la Ligue catholique, véritable rempart d’acier sur lequel viendra se briser l’ennemi. Voilà ce qu’il advenait si l’on se frottait à la fameuse infanterie espagnole, à ses redoutables tercios lesquels ne perdront leur suprématie sur les fantassins des autres nations que le 19 mai 1643 lorsque le Grand Condé les aura vaincus à Rocroi.

Mansfeldt, de son côté, s’est porté avec ses troupes à l’attaque du centre des Espagnols. S’ensuit une terrible mêlée où, après avoir tiré, les soldats des deux partis se cassent le pistolet sur la tête.

Il s’en faut de peu que les troupes de Mansfeldt et d’Halberstadt ne soient totalement écrasées mais les Espagnols donnent des signes de fatigue. A ce moment, la victoire semble indécise. L’espoir d’infliger une défaite complète à l’ennemi n’abandonne cependant pas Cordova, écrit le comte de Villermont, « car il comptait voir apparaître d’un instant à l’autre une troupe de quelques milliers de paysans » mais ceux‑ci, qui, dit le même auteur, ont été réquisitionnés par le comte de Solre, grand bailli de Hainaut, et sont commandés par lui, n’arriveront pas sur le champ de bataille ; par suite d’informations inexactes, le comte de Solre les a dirigés sur Mons.

Avec rage, les deux partis luttent déjà depuis cinq heures d’horloge et l’on ne voit pas encore de quel côté penchera la balance de la victoire. Enfin, vers les onze heures, Halberstadt et Mansfeldt rassemblent toutes leurs forces et avec elles, dans un sursaut désespéré d’énergie, parviennent à faire une trouée dans l’extrême droite espagnole et prennent la fuite. Cordova est donc victorieux puisqu’il reste maître du champ de bataille. La journée coûte aux vaincus 3.000 hommes, tués, blessés ou prisonniers. Dix‑huit étendards restent aux mains des Espagnols. Ceux‑ci, de leur côté, ont eu 300 tués et 900 blessés.

Fleurus, où quelques mousquetaires s’étaient retranchés’ fut, écrit le chanoine Theys, « presque entièrement incendiée. Les caves, ajoute‑t‑il, servirent d’abris aux sinistrés ».

Ses troupes étant très fatiguées par les marches forcées qu’elles avaient faites avant la bataille et par l’ardeur témoignée au cours de celle‑ci, don Gonzalès de Cordova ne put songer à poursuivre l’ennemi. Il laissa donc souffler ses soldats jusqu’à trois heures et demie, après quoi les vainqueurs se mirent en mouvement. A la tombée de la nuit, les Espagnols arrivaient devant Gembloux où ils firent halte. Le lendemain, le colonel Gaucher, à la tête d’une troupe de cuirassiers rejoignit l’infanterie ennemie restée en arrière et la tailla en pièces. Gaucher fit d’ailleurs beaucoup de prisonniers et prit deux canons et de nombreux chariots à bagages à l’ennemi. Le reste des fuyards, non sans perdre encore en cours de route quelques centaines d’hommes, s’en fut se réfugier en Hollande.

Au total, durant la bataille (nous en avons cité le chiffre plus haut) et durant leur fuite, Mansfeldt et Halberstadt avaient perdu 11.000 hommes. Leur artillerie et leurs bagages étaient restés au pouvoir des vainqueurs. Parmi les i étendards tombés aux mains des Espagnols se trouvait celui d’Halberstadt qui, écrit le chanoine Theys, « était de brocard cramoisi avec la devise « pour la Liberté ». Le même auteur ajoute que ce trophée fut‑porté à Bruxelles où il s’en alla orner la chapelle du Saint‑Sacrement des Miracles.

Parmi les morts de Fleurus figuraient don Francisco d’Ibarra, mestre de camp de la cavalerie espagnole, le vicomte d’Emery ; le seigneur d’Ivoy et une quinzaine de capitaines de diverses nations. Furent blessés, les comtes de Lenehem et d’Hannapes, ce dernier atteint d’une balle de mousquet au visage, le sieur d’Henricourt qui eut les deux bras brisés, don Gabriel de Cordova, messire François du Chastel, vicomte d’Amerin et capitaine de cent cuirassiers. Les cadavres, dit le comte de Villermont gisaient « sur un si long parcours » que l’on fut obligé de faucher les blés pour les découvrir. Réquisitionnés

par le comte de Solre, ajoute le même auteur, des paysans brabançons furent chargés d’enterrer les morts.

On a prétendu que le prince Frédéric de SaxeWeimar avait participé à la bataille de Fleurus aux côtés de Christian von Halberstadt et qu’il aurait même commandé une partie des troupes de l’Evêque mais cette assertion ne semble pas prouvée.

Ayant appris qu’il y avait eu bataille à Fleurus, l’Infante Isabelle ordonna aussitôt que l’on prit soin des blessés sans tenir compte du parti auquel ils appartenaient. Elle alla voir ces malheureux et leur fit donner des vivres, du vin et même de l’argent. Les dames de Bruxelles se dévouèrent également pour adoucir le sort des blessés de Fleurus. Le 4 septembre, l’Infante Isabelle passa en revue, à Malines, dit le chanoine Theys, les troupes espagnoles qui avaient combattu le 29 août et remit des présents aux principaux officiers.

Dans son intéressant ouvrage sur Fleurus, le chanoine Theys reproduit l’inscription qui fut gravée sur un monument funéraire placé à gauche de l’autel de l’église d’Howardries. Consacré à la mémoire du capitaine de cuirassiers du Chastel, cette inscription est mi‑partie française, mi‑partie latine. Nous la reproduisons ci‑dessous entièrement en français : « Gist en la chapelle Notre‑Dame noble et valeureux cher messire Françhois du Chastel, vicomte dAime­rin, capitaine de cent cuirassiers por le service de Sa Majesté lequel ayant esté toute la guerre de Bofie (i) en la dite charge et retourna par decha mourut en la bataille contre Maesfelt proche Flerue (2) 29 aost 1622. Victorieux j’ai vu les vaillants Autrichiens, les féroces Hongrois, les Bohémiens rebelles, les Moraves, les Silésiens ; je suis revenu sur le sol natal belge où j’ai trouvé la mort en combattant dans le champ de Fleurus. Apprenez à être prêt à mourir ».

Au cours de la bataille de Fleurus, Christian von Halberstadt avait reçu un coup de feu au bras gau­che. Ayant négligemment soigné sa blessure, cette plaie s’envenima et la gangrène finit par s’y mettre. L’amputation apparut dès lors indispensable. C’est dans la campagne du pays de Liège et au son des trompettes et des tambours que l’évêque voulut subir la douloureuse opération qu’il supporta d’ailleurs avec un extraordinaire courage. Cette mu­tilation ne devait d’ailleurs avoir aucune influence sur « l’a fougue de ses passions ». A la Haye, dit le comte de Villermont, il se fit faire par un artiste particulièrement adroit un bras en argent (en fer, selon d’autres historiens) qui, grâce à un ingénieux mécanisme remplaça, du moins dans une certaine mesure, le bras disparu.

Pour en revenir aux étendards tombés aux mains des Espagnols à Fleurus, précisons que don Gonza­lès de Cordova les avaient tous envoyés à Bruxelles. Sur celui d’Halberstadt figurait un bras sortant du ciel avec, nous l’avons dit, la devise « Pour la liberté ». « On considéra, écrit le comte de Viller­mont, comme un châtiment providentiel que le prin­ce incendiaire eut été justement frappé au bras ». Un autre étendard, ajoute le même auteur, fut présenté à l’Infante Isabelle par le capitaine qui l’avait pris après avoir occis le Luthérien qui le portait.

En Hollande, où il était arrivé avec les rescapés de Fleurus, Mansfeldt reçut fort bon accueil du prince d’Orange. Il entra ensuite en Wesphalie où ses sou­dards, selon leur triste habitude, pillèrent plusieurs villes. Il se retrancha alors en Frise orientale où Tilly n’osa d’ailleursos’e risquer à l’attaquer. Après avoir dévasté la contrée, il licencia ses troupes et, avec le produit de sqs rapines, s’en fut à La Haye, puis à Paris et à Londres, mener joyeuse vie. En 1625, il rentra en Allemagne à la tête de 12.000 hommes parmi lesquels figuraient 3.000 Ecossais, un corps de Danois, le reste étant composé de dangereux aventuriers. Vaincu en 1626 par le célèbre Wallenstein, général des Impériaux, il battit en retraite dans la marche de Brandebourg où il leva une nouvelle armée à laquelle se joignirent 5.000 Danois. Dans l’intention de se joindre à Bethlen‑Gabor, prince de Transylvanie, il envahit la Silésie et la Moravie et gagna lablonka où le due de Saxe‑Weimar fit sa jonc­tion avec lui. Ayant appris que Bethlen‑Gabor avait fait la paix avec l’Empereur, il remit le commande­ment de ses troupes à Saxe‑Weimar. En quête de nouvelles aventures, il voulut se rendre à Venise mais tomba malade à Bude. Il n’en poursuivit pas moins sa route. Cependant, arrivé à Branovitz, petite ville de Bosnie, il sentit que ses jours étaient comp­tés. Sa fin fut digne de l’Antique. Voyant la mort approcher à grands pas, il se coiffa de son casque, mit sa cuirasse, ceignit son épée et c’est debout, entre deux domestiques qui le soutenaient, que le terrible Mansfeldt expira.

Dès qu’il fut guéri, Christian von Halberstadt appa­rut devant Berg‑op‑Zoom dont il fit lever le siège. Rentré peu après en Allemagne, dit la Biographie Universelle ancienne et moderne, il aurait pu se ré­concilier avec l’Empereur mais celui‑ci ne voulant pas comprendre dans cette réconciliation l’électeur palatin et ses autres alliés, la paix n’eut pas lieu. La guerre ayant repris, Christian von Halberstadt se fit battre par Tilly. Contraint de fuir, il alla chercher des secours en Hollande et en Angleterre. A son retour, dit la Biographie Michaud, il obtint quelques succès avec Mansfeldt. Notre redoutable évêque luthérien trépassa à Wolfenbuttel le 9 juin 1626. Le bruit courut qu’il avait été empoisonné.

La journée de Fleurus, comme certains historiens le disent, fut‑elle indécise où vit‑elle, ainsi que d’autres le prétendent, le triomphe de Christian von Halber­stadt et d’Ernest de Mansfeldt ? Assurément non. Grâce aux redoutables tercios de leur infanterie, Fleurus fut une incontestable victoire pour les Espagnols.

Mansfeldt serait, paraît‑il, le premier qui ait employé des dragons à la guerre. On raconte aussi, dit la Biographie Michaud, qu’un de ses officiers nommé Cazel communiquant ses plans à l’ennemi, Mans­feldt lui remit une somme d’argent ainsi qu’une lettre pour le comte de Bucquoi. Cette missive contenait ces quelques mots : « Cazel étant votre affectionné serviteur et non le mien, je vous l’envoie afin que vousprofitiez de ses services ».
On n’est pas plus obligeant. Bizarre Mansfeldt.

Nous terminerons par l’évocation d’un épisode qui eut lieu lors de l’entrée des Luthériens en Hainaut et que mentionne le comte de Villermont. Le même auteur dit d’ailleurs ne pouvoir affirmer l’authenticité de cet épisode bien « qu’il soit extrait d’archives respectables », celles du château de Chimay. Passablement teintée de chauvinisme, l’anecdote lui paraît en effet faire un peu trop d’honneur au courage des femmes de Chimay. Quoi qu’il en soit, voici les faits. Le 26 août 1622, Mansfeldt, qui pour la mettre au pillage, espère s’emparer de Chimay médiocrement défendue, envoie vers cette petite ville un détachement de ses troupes de féroces aventuriers avides de vols et de carnage. Les voyant approcher, « quelques bourgeois pusillanimes, écrit le comte de Villermont, prétendirent qu’il serait inutile, imprudent même de se défendre », mais les Chimaciennes ne l’entendent pas de cette oreille. Elles courent aux ramparts et occupent tous les points stratégiques de la ville. Cette attitude en impose aux Luthériens qui renoncent à se porter à l’assaut. Cependant, au moment où ils vont se retirer, l’un d’entre eux « découvrit, écrit encore le comte de Villermont, l’ouverture d’un égoût qui débouchait non loin des murailles » et dont l’autre orifice s’ouvrait près de celles‑ci, dans la ville. Il était d’ailleurs possible à un homme de s’introduire dans cet égoût qui « servait d’exutoire au trop plein d’une fontaine formant lavoir ». A la queue leu leu, des soudards luthériens s’engagent dans l’égoût sans éveiller l’attention des sentinelles postées sur les murailles de Chimay. A peine le Luthérien qui rampe le premier commence‑t‑il à passer la tête hors de l’égoût que des Chimaciennes qui lavent leur linge se précipitent sur lui avec des armes improvisées, l’envoient de vie à trépas et font aussitôt disparaître son cadavre. Plusieurs Luthériens subissent d’ailleurs le même sort. Voyant l’eau qui stagne dans l’égoût teintée du sang de leurs compagnons, les derniers Luthériens rebroussent précipitamment chemin et sortent tout aussi vite du conduit, honteux comme des renards que des poules auraient pris.

Hainaut Tourisme, novembre 1983, Jean Godet

image_print
share
Prev 1622, un épisode fleurusien de la guerre de trente ans.
Next 1er juillet 1690, le Maréchal de Luxembourg remporte une importante victoire à Fleurus
bataille 1690_HI

Comments are closed.

error: Content is protected !!